
La naissance du Cercle ‘Diversité & Décentrage’
Début janvier 2021, le Cercle de Gouvernance lance le questionnaire Pimp my Community ! (co-construit par Anne Quénot et Aurélia Trombini et dépouillé par Marie-Laure Moens), afin d’avoir l’avis des membres du collectif pour mettre en lumière les idées et renforcer les liens.
En février, les résultats du questionnaire sont disponibles et vous pouvez les retrouver sur ce lien.
Il ressort la nécessité de faire un focus sur la question de la diversité à travers 2 axes :
- Enjeu d’inclusion, de diversité et d’ouverture (vs entre-soi),
- Reconnaissance du manque de prise en compte des sujets tels que le sexisme, le racisme et autres -ismes.
Alors début juillet, Caroline Allard et Tiffanie Joannier lancent un appel au collectif via le groupe facebook à travers le post suivant :
“{Favoriser la diversité dans le collectif}
Bonjour Cher Collectif,
En lien avec notre raison d’être, nous aimerions contribuer à un collectif où chacun·e puisse être vraiment accueilli·e dans sa plénitude et sa complexité – quelque soit son origine sociale et ethnique, son apparence et son vécu physique, sa situation de handicapacité, ses croyances ou non-croyances et sa culture, son appartenance à l’éventail LGBTQI ++ … avec l’espoir de refléter cela dans la société plus largement
Et on ressent et on a reçu des commentaires que ça n’est pas (complètement) le cas aujourd’hui et ça nous tient vraiment à cœur de prendre soin de toutes et tous.
En tant que femmes blanches éduquées cisgenres etc., donc très privilégiées, on se rend compte qu’on a forcément d’énormes biais pour en prendre la mesure et pour y apporter des remèdes. Et que ça va piquer et inviter à nous remettre en question, individuellement et collectivement.
A ce stade, on a besoin d’aide ! … Et on a la croyance qu’on peut avancer en commençant par les sujets suivants
> Bénéficier de l’expérience des personnes du collectif qui se reconnaissent dans les “minorités”/ groupes moins représentés et qui aimeraient être entendues pour que leur expérience soit mieux prise en compte
> S’assurer que l’organisation et le fonctionnement des stages permettent à toutes et tous de se sentir accueilli·es et en sécurité – cela demande une ‘maturité organisationnelle systémique’, pour accepter la réalité que nous aurons forcément des biais et nous ferons forcément des erreurs, mais nous pourrons les accueillir et les transformer ensemble. Bref, avoir un regard sur nous même en tant que système et pouvoir nous améliorer.
> Identifier comment inviter des publics “différents”, qui ne viennent pas par les canaux habituels, et peut-être même imaginer des formats autres pour faire grandir le collectif
Prochain pas :
Format : on commence par un atelier de co-construction en ligne avec une 10aine de membres du collectif. On pourra ouvrir la réflexion après, c’est sûr!
Qui :
- Des personnes qui se reconnaissent dans les groupes moins représentés et souhaitent être mieux prises en compte,
- Des personnes qui ont vraiment réfléchi à ces sujets d’inclusion, se sont remises en question, sont impliquées dans le sujet,
- Des personnes qui travaillent déjà avec des publics ‘divers’ dans cette perspective d’inclusion et d’accueil.
Timeline :
on ne se met pas la pression, même si on a conscience de l’urgence de ce sujet de manière globale. un atelier en juillet ou à la rentrée ça nous paraît être un bon début.
Merci de noter ton intérêt et lien avec d’autres publics en commentaire et/où de t’adresser directement à Caroline et Tiffanie”
À cette demande, une douzaine de personnes est partante (dont Caroline et Tiffanie).
La première session a lieu le 28 septembre 2021. Sur les 12, touxtes1 ne sont pas présentes. Un système d’appel pour garder le lien et transmettre les informations est mis en place.
Après plusieurs réunions, la mise en place de groupes de travail en ligne, 2 mises au vert en 2022 et 2023 et un groupe finalement constitué de 5 membres cœurs (pour le moment) avec quelques membres papillons, nous avons cheminé et aujourd’hui nous souhaitons vous partager ce cheminement.
Reconnaître le vécu des personnes discriminées
À partir de notre élan initial de contribuer à un collectif où chaque personne puisse se sentir et être véritablement accueillie dans sa plénitude et sa complexité, il y a l’importance de reconnaître et assumer que ce n’est pas le cas aujourd’hui et que cela n’a rien de surprenant. Avec toute la bienveillance, la CNV et autres pratiques de lien disponibles, le collectif n’est pas une bulle hors du monde, il ne peut s’y extraire, au contraire, il reflète (plus ou moins inconsciemment et plus ou moins intensément) les mécaniques sociétales dans lesquelles nous baignons.
Ainsi, ce que vivent les personnes “minorisées/discriminées” dans notre collectif, elles le vivent dans la plupart des autres lieux qu’elles fréquentent. Et cela est une source de stress, trauma et de souffrance chronique.
Bien souvent les personnes les plus privilégiées n’en sont pas forcément conscientes et/ou ne veulent pas croire les témoignages des personnes premièrement concernées par les discriminations et oppressions systémiques (en fait, nous sommes touxtes concernées, parce que soit nous les subissons, soient nous les perpétuons plus ou moins intentionnellement et consciemment, bien souvent les deux).
Alors oui, en prendre conscience est un premier pas, et il n’est malheureusement pas suffisant. Nous avons aussi besoin d’œuvrer activement dans cette direction.
Cela dit, maintenant, c’est peut-être le moment de faire une pause dans ta lecture, de peut-être prendre un moment pour respirer en conscience, ou accueillir ce qui est vivant chez toi. On reconnait que prendre conscience de cela, ça peut être submergeant. Alors si c’est ce que tu es en train de vivre, nous t’invitons à l’accueillir du mieux que tu peux.
Nous avons juste envie de te partager que ça fait partie du processus, que nous l’avons traversé à des degrés plus ou moins grands (parce que oui, nous sommes souvent lae2 privilégié·es de quelqu’un·es) et que nous essayons d’avancer un pas après l’autre en prenant soin. Et prendre soin, c’est reconnaitre ce que ça fait de prendre pleinement conscience de cela, c’est aussi prendre soin des personnes qui vivent la violence d’être minorisées, discriminées au quotidien avec tout ce que ça implique de visible et de non visible. Cela étant dit, nous t’invitons à rester avec nous et à continuer à nous lire, stp.
Maintenant reprenons !
Nous sommes donc d’abord parti·es du vécu des personnes du cercle subissant des discriminations dans le collectif et dans des collectifs similaires.
S’auto-éduquer et partager nos ressources pour mieux se décentrer
Et ensuite, notre première intention a été de nous auto-éduquer et de partager des ressources sur les dimensions systémiques et largement inconscientes. Bref, continuer à nous décentrer en nous décentrons ensemble.
Avec cet article, l’idée est de vous inviter à vous décentrer avec nous pour contribuer au décentrage du collectif.
Avant de vous expliquer pourquoi se décentrer, nous vous partageons l’idéal que nous nous fixons comme un cap à tenir.
“Chaque membre d’I&C, selon sa situation et son rôle dans le collectif, est attentif·ve aux petites phrases “ordinaires” véhiculant des discriminations (micro-aggressions), à laisser la parole aux personnes qui seraient moins à l’aise, à accueillir sans minimiser les vécus de personnes minorisées, aux retours sur ses comportements ayant un impact négatif, en conscience des difficultés supplémentaires pour les personnes minorisées à avoir leur place pleine et entière dans des collectifs.
Une même délicatesse et compréhension est mise dans les modalités d’organisation des stages, dans la vie en collectif sur place, dans les canaux de communication et de partage… avec la capacité de s’améliorer au fil de l’eau.“
Alors oui, c’est un idéal, et aujourd’hui, nous en sommes loin, nous voyons plutôt ça comme un horizon.
Nous avons conscience que le collectif I&C regroupe majoritairement des personnes, notamment, blanches, éduquées, de professions intellectuelles, souvent plus valorisées, nées et/ou vivant en France ou en Belgique. Et si dans l’idée, le collectif est ouvert à touxtes les acteurices du changement dans le processus d’inscription, dans le même temps, la réalité est que ce collectif regroupe donc principalement des personnes privilégiées, à quelques exceptions près.
Et comme on l’a vu plus haut, cette relative homogénéité du groupe s’accompagne d’angles morts sur les vécus d’autrui, qui conduisent à une reproduction des schémas de dominations et d’oppressions présents dans la société actuelle. Il est important de se rappeler qu’il s’agit de choisir activement d’en sortir, de choisir de sortir de sa zone de confort pour aller dans sa zone d’apprentissage.
Et oui ça peut être inconfortable d’aller dans cette zone d’apprentissage ! Mais rappelle-toi, plus tu es privilégié·e, plus ta zone de confort est grande, plus tu te sens en “sécurité” et en “confort” dans la plupart des endroits. Alors que là où plus tu fais partie des personnes minorisées et plus tu es dans une zone d’apprentissage, voire de panique au quotidien et plus ta zone de confort est petite, voire quasi inexistante. Donc oui, en tant que personne privilégiée, tu as besoin de choisir activement d’aller dans ta zone d’apprentissage pour contribuer à faire bouger les choses et pour contribuer à la déconstruction des dominations et oppressions systémiques.
Et nous croyons que cela aurait plu à Marshall Rosenberg :
« Si j’utilise la Communication Non-Violente pour libérer les gens, afin de leur permettre d’être moins déprimés, de mieux s’entendre avec leur famille, mais que je ne leur enseigne pas, dans le même temps, à utiliser leur énergie pour transformer rapidement les systèmes dans le monde, alors je fais partie du problème. Je calme les gens, je les rends plus heureux de vivre dans les systèmes tels qu’ils sont, alors j’utilise la CNV comme un stupéfiant. » 3
Marshall Rosenberg – Social Justice Retreat in Switzerland, June 2005
Cela peut être inconfortable, nous te le concédons !, et avec un peu de pratique, cela se fait de plus en plus facilement, bien que ce soit toujours inconfortable suivant les sujets, et ce sujet-là est inconfortable pour touxtes.
Non, ça ne fait pas plaisir aux personnes discriminées de parler de ces sujets, non, ce n’est pas une passion, et oui, c’est inconfortable et éreintant de toujours devoir être les personnes qui ramenons ce sujet au centre, mais nous le faisons parce que nous souhaitons contribuer à ce que ce monde soit un tout petit peu plus vivable pour les personnes comme nous, nos enfants, nos nièces, nos neveux, etc.
À nouveau, c’est peut-être le moment de faire une pause dans ta lecture, de peut-être prendre un instant pour respirer en conscience, ou accueillir ce qui est vivant chez toi, boire de l’eau, te mettre en mouvement, etc. Mais stp, reste encore un peu avec nous pour lire la suite.
Donc, on reprend. Pour évoluer vers cet idéal, nous souhaitons vous inviter à honorer les diversités humaines, à s’ouvrir et à apprendre d’elles, ainsi qu’à aborder avec compassion, empathie et intérêt les points de vue s’exprimant depuis les « marges ». Cette ouverture passe notamment par une éducation sur les oppressions et discriminations dont nous n’avons pas conscience.
Ce chemin est loin d’être confortable… (mais “être heureux n’est pas nécessairement confortable” comme dirait quelqu’un de notre connaissance 😀), que ce soit pour les personnes privilégiées ou discriminées. Alors essayons de faire cela en prenant soin les unes, les uns des autres, en veillant à ne pas reproduire les schémas de dominations et d’oppressions.
Et on le sait, ça arrivera, on se trompera, on tâtonnera, on avancera un pas après l’autre et on continuera, d’ailleurs, nous le faisons déjà au sein de Diversité et Décentrage, et nous savons que certaines personnes dans le collectif le font déjà également.
Donc l’idée est de se décentrer de nos vécus d’un groupe “privilégié” pour être à l’écoute des vécus des personnes minorisées, discriminées, leur faire la place, écouter leurs histoires, leurs expériences d’oppressions et les laisser enfin décider par et pour elles-mêmes ce dont elles ont besoin.
L’invitation est de faire ce “décentrage” ensemble, pour que le collectif entier chemine vers cet idéal avec nous.
Contribuer à l’organisation et au fonctionnement des stages
Notre deuxième intention est de contribuer à ce que l’organisation et le fonctionnement des stages permettent à chaque personne de se sentir accueillie et le plus en sécurité possible.
Le plus en sécurité possible, parce que :
- 1 – ça n’existe pas un espace où chaque personne se sente pleinement en sécurité, en tout cas pas dans notre société,
- 2 – ce n’est pas parce que tu te sens en sécurité que toutes les personnes présentent dans l’espace se sentent en sécurité,
- 3 – tu ne peux pas décider pour une autre si elle se sent en sécurité dans un espace que tu considères comme safe/sécure, parce que tu as posé un cadre de sécurité ou de confort qui te convient et/ou qui convient au plus grand nombre, souvent suivant le standard des personnes plutôt privilégiées qui n’est souvent pas suffisant pour les personnes minorisées,
- 4 – c’est ok que l’espace ne soit pas safe, par contre ce n’est pas ok de le prétendre et donc de contribuer à ce que les personnes qui ne se sentent pas en sécurité, culpabilisent, aient honte, etc.
Atteindre des espaces où les personnes se sentent accueillies et le plus en sécurité possible : cela demande une ‘maturité organisationnelle systémique’, pour accepter la réalité que nous (le collectif, les organisateurices et autres papillons) aurons forcément des biais et ferons forcément des erreurs, et que nous avons besoins de les accueillir, les reconnaître et les transformer ensemble un pas après l’autre.
Ainsi, avoir un regard sur nous-même en tant que système et pouvoir s’améliorer ensemble. Encore une fois, l’idée est de se décentrer et de prendre conscience de l’ensemble de ces mécanismes souvent invisibles si tu n’en as pas conscience.
Encore une fois, la dernière pour cet article, nous t’invitons à faire une pause dans ta lecture, de prendre un instant pour respirer en conscience si tu en as besoin, ou accueillir ce qui est vivant en toi, peut-être boire de l’eau, te mettre en mouvement, etc. Et stp, reste encore un peu avec nous pour lire la fin.
Pour info, un autre article proposera des ressources à explorer pour commencer ou continuer à déconstruire sur plusieurs discriminations et mieux comprendre les concepts et mécanismes abordés ici.
Pour contribuer à ce que l’organisation et le fonctionnement des stages permettent à chaque personne de se sentir accueillie et le plus en sécurité possible, nous avons déjà proposé les actions et ressources suivantes :
Le noyau du cercle ‘Diversité & Décentrage’
Avant de se quitter, nous voulons nous présenter.
Nous nous définissons comme un groupe qui se forme, travaille et accompagne des dynamiques autour des sujets de diversité, violences systémiques, oppressions et discriminations.
Nos membres actifs sont présenté·es ici.

Voici la raison d’être que nous avons posée en 2022 :
- “Cheminer ensemble avec humilité
- Susciter la curiosité envers le sujet Diversité et Décentrage
- Se présenter comme relais bénévolent
- Organiser des rencontres contribuant à la prise de conscience, à la guérison du soi et au soin des diversités”
Merci de nous avoir lu jusqu’au bout, d’être allé·e dans ta zone d’apprentissage et d’avoir accueilli ton inconfort. Et nous te retrouvons dans un prochain article avec des ressources pour d’auto-éduquer sur ces sujets.
1 Forme inclusive neutre
2 Forme inclusive
3 Traduit de l’anglais : “If I use Nonviolent Communication to liberate people to be less depressed, to get along better with their family, but not teach them, at the same time, to use their energy to rapidly transform systems in the world, then I am part of the problem. I am essentially calming people down, making them happier to live in the systems as they are, so I am using NVC as a narcotic.” Marshall Rosenberg – Social Justice Retreat in Switzerland, June 2005
Bonjour ! Merci pour cet article.
Toujours triste de savoir qu’un espace que l’on souhaite acceuillant ne l’est en fait pas pour tout le monde, et en même temps je comprends et je vous remercie pour votre partage qui m’invite encore à l’apprentissage.
Perso, un petit partage : j’ai fait il y a quelques mois un cours en ligne appelé Magma (avec Violaine Badet notamment) sur les systèmes d’oppression. Chaque semaine, on nous envoie du contenu et on a un call pour en parler. Je me dis qu’en termes de contenu, ça pourrait vous intéresser !